Des changements importants sont en cours dans la façon dont les grands projets d’infrastructure comme ceux d’approvisionnement en électricité, de barrage, de pipeline et de port sont financés. Auparavant, les décisions de financement étaient axées sur la capacité du projet de générer de bons résultats financiers. Aujourd’hui, à l’ère de ce que bon nombre de personnes appellent la « relance verte », les investisseurs, les gestionnaires de capitaux privés, les banquiers et les gouvernements qui financent de grands projets tiennent de plus en plus compte des changements climatiques. À titre d’exemple, pour accéder au financement du Programme d’infrastructure Investir dans le Canada, les promoteurs doivent effectuer une évaluation selon l’Optique des changements climatiques et démontrer comment les changements climatiques ont été pris en compte dans la conception et l’exploitation de leur projet.
Deux questions sont posées aux promoteurs de grands projets d’infrastructure : « Dans quelle mesure votre projet sera‑t‑il résilient face aux changements climatiques? »; et « Que ferez‑vous pour limiter l’apport de votre projet aux changements climatiques? ». Au moment où un nombre croissant de pays se fixent des objectifs de carboneutralité pour les décennies à venir, les projets de longue durée doivent désormais prévoir une stratégie permettant d’atteindre ces objectifs. Au bout du compte, il faut trouver un juste équilibre entre l’obtention de bons résultats financiers et les considérations liées aux changements climatiques.
Vers la résilience climatique
Pour voir comment cela fonctionne en pratique, examinons le projet fictif suivant : une mine accessible seulement par une route difficile et loin du réseau électrique. Nous l’appellerons « Mine verte du futur » (MVF). Pendant des années, MVF a compté sur des génératrices au diesel pour fournir l’électricité nécessaire à son exploitation minière, son usine de traitement et d’autres installations, y compris des logements pour les travailleurs. Les dirigeants de l’entreprise ont constaté que l’énergie solaire était devenue plus pratique et plus fiable et ont jugé qu’il était temps de passer à cette source d’énergie.
Il est difficile d’atteindre les cibles réglementaires internes ou externes de réduction des émissions notamment à cause du carbone que les générateurs produisent. Les dirigeants de MVF s’inquiètent par ailleurs des répercussions des changements climatiques sur leur entreprise : l’augmentation du nombre attendu de tempêtes pourrait interrompre les livraisons aériennes de diesel, ce qui requiert une résilience accrue au chapitre de la production locale d’électricité. Des périodes prolongées de sécheresse grave peuvent aussi avoir une incidence sur la capacité de la mine de fonctionner, faisant en sorte qu’une plus grande quantité d’énergie fiable est nécessaire pour pomper de l’eau provenant de sources plus éloignées.
Nous avons retenu trois leçons à la suite de projets de soutien dont l’ampleur va de la conversion à l’énergie renouvelable d’une petite collectivité isolée à des projets dont l’envergure est similaire à celle de MVF. Ces leçons s’appliquent non seulement aux mines isolées, mais à tout projet qui cherche à obtenir du financement dans le nouveau contexte financier adapté aux changements climatiques. Le financement peut provenir d’une institution internationale comme la Banque mondiale ou d’un gouvernement national (voir ci-après pour obtenir un aperçu d’un tel programme au Canada).
1. Il n’est pas nécessaire d’avoir toutes les réponses immédiatement
Les promoteurs de projet se sentent souvent intimidés par la quantité de renseignements requis pour une demande de financement qui tient compte des changements climatiques. Les gestionnaires de MVF peuvent être en mesure d’établir les capacités de leur équipement et son coût de fonctionnement, mais avoir de la difficulté à déterminer l’empreinte carbone de chacun des moteurs à hydrocarbures sur leur terrain.
Les sources de financement veulent s’assurer que les dirigeants de MVF comprennent bien les choix que ces derniers font, les risques attendus et les possibilités d’amélioration. La bonne nouvelle, c’est que la direction de MVF n’a pas besoin de tout savoir avant de présenter une demande. Il en est ainsi en partie parce que les demandes peuvent habituellement ne comporter que des conceptions préliminaires et en partie en raison de l’incertitude de l’estimation des risques et des impacts. Les estimations des facteurs, comme le coût des émissions de carbone, les niveaux d’émissions futurs, les températures futures, les régimes climatiques et même la fréquence et la gravité des tempêtes, ne sont que des estimations.
Les chiffres en question doivent néanmoins provenir de sources crédibles et actuelles. De nombreux portails en ligne fournissent l’information. D’autres sources de données comprennent les spécifications des fabricants d’équipement, par exemple l’énergie attendue de la batterie de cellules solaires que la société minière envisage d’obtenir.
C’est comme si votre instructeur d’anglais insistait pour que vous énonciez votre thèse, l’appuyiez et fournissiez des références, peu importe le point de vue que vous avez adopté sur le sujet choisi. Vous devez être en mesure de démontrer clairement que vous prévoyez tenir compte du climat dans votre projet, étayer les mesures d’atténuation des changements climatiques au moyen d’information sur la réduction des émissions et favoriser la résilience face au climat en comprenant comment les risques liés au climat peuvent être réduits grâce à la conception du projet. Une évaluation détaillée peut être effectuée plus tard, lorsque la conception finale du projet et les renseignements à l’appui requis sont disponibles.
Certaines sources de financement permettent aux promoteurs de projet d’utiliser une partie du financement pour couvrir le coût de l’évaluation détaillée.
2. Les consultants externes peuvent contribuer à l’obtention d’un financement si leurs services sont utilisés judicieusement
Bon nombre d’entreprises examinent les exigences du processus de financement et concluent que cela ne vaut pas la peine. Certaines peuvent ne pas disposer de l’expertise interne, par exemple des spécialistes du climat possédant l’expérience et les titres de compétence requis.
Il peut être utile de faire appel à des consultants externes disposant des bonnes personnes qualifiées et des contacts leur permettant de recourir à d’autres spécialistes au besoin. En plus d’être experts en matière de changements climatiques, les consultants externes expérimentés connaissent le processus de demande. Ils savent trouver la bonne information dans le domaine public, auprès des fabricants d’équipement et d’autres sources. Ils savent également comment obtenir les bons renseignements auprès des employés de l’entreprise pour monter un dossier à l’appui de la demande de financement.
Il est important de bien faire les choses et de considérer la démarche comme un travail d’équipe. Ainsi, pour recueillir des renseignements sur les activités de l’entreprise, les consultants doivent pouvoir s’entretenir avec les employés de l’entreprise qui connaissent bien les activités en cours et le projet.
La haute direction doit participer au processus. Cette participation aide l’équipe de consultation à obtenir les réponses nécessaires afin de produire une demande de financement efficace et donne aux dirigeants de l’entreprise les connaissances approfondies sur la demande pour la défendre efficacement devant l’organisme de financement.
3. Soutirez tous les avantages possibles du processus de demande de financement
Le processus de demande de financement présente des avantages qui vont bien au-delà du financement reçu.
Une partie des avantages en question découle de la compréhension du coût des étapes envisagées. Certains processus de demande comportent une exigence à cet égard, par exemple le calcul du coût de la réduction des émissions de carbone (en dollars par tonne d’équivalents CO2).
Si le fait de connaître ce coût aide à répondre aux exigences du processus de financement, il s’agit par ailleurs d’une donnée chiffrée particulièrement importante pour la prise de décisions. Dans le cas de MVF, ses dirigeants pourraient considérer le coût des émissions de carbone (peut-être 40 $ la tonne) et le coût d’achat de crédits (peut-être 15 $ la tonne). Ils pourraient ensuite se demander si la conversion prévue – qui a une valeur d’équivalents CO2 de centaines de dollars la tonne – est justifiée.
Parfois, même le coût élevé de l’installation initiale peut entraîner d’autres avantages importants qui la rendent utile. Il peut s’agir de donner à l’entreprise un accès à du capital investissement et à d’autres sources de financement qui souhaitent financer des projets avantageux pour la planète. Ces sources de financement doivent savoir que l’entreprise a réfléchi aux répercussions des changements climatiques, comme des conditions météorologiques extrêmes qui pourraient causer des inondations et des pénuries d’eau.
De nombreuses entreprises ont de la difficulté à respecter les exigences du Task Force on Climate‑related Financial Disclosure (TCFD), organe international qui a mis au point un cadre visant à aider les entreprises publiques et d’autres organisations à communiquer plus efficacement les risques et les possibilités liés au climat. Avoir des données provenant de la demande de financement peut aider à assurer la conformité avec les exigences du TCFD. Cela facilite également le respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) élargies et au chapitre des rapports sur les progrès réalisés en fonction des objectifs de l’organisation en matière de durabilité.
D’autres avantages découlent du fait d’attirer des employés, en particulier de jeunes employés hautement qualifiés qui souhaitent se joindre à une entreprise qui prend des mesures tangibles à l’égard des changements climatiques. D’autres intervenants, comme les membres des collectivités avoisinantes et les autorités gouvernementales, doivent savoir que MVF s’acquitte de ses responsabilités.
Au bout du compte, il existe une grande différence entre dire que l’entreprise installe un système d’énergie solaire dans sa mine et qu’elle installe une batterie de cellules solaires, ce qui permettra de réduire ses émissions de carbone à la suite de la production d’électricité à hauteur de XX % et d’utiliser dorénavant des véhicules électriques, réduisant ainsi son empreinte carbone d’YY % supplémentaires.
Une approche canadienne pour tenir compte des changements climatiques
Le gouvernement du Canada est l’une des entités qui mettent de l’avant des chiffres, des cibles et des mesures incitatives afin de prendre les changements climatiques en compte. Dans le cadre de l’exigence Optique des changements climatiques, le Canada établit les livrables pour les projets d’infrastructure qui cherchent à obtenir du financement du gouvernement fédéral.
De nombreuses autres régions géographiques exigent que les projets soient résilients face aux changements climatiques, mais donnent peu d’orientation sur la façon de le faire, voire aucune. Elles disent essentiellement qu’il faut tenir compte de la résilience aux changements climatiques et qu’il revient aux promoteurs de projet de décider ce que cela signifie. Le Programme d’infrastructure Investir dans le Canada est l’un des seuls dans le monde à avoir examiné attentivement ce que signifie vraiment l’atténuation des changements climatiques et la prise de mesures de résilience dans le contexte des projets d’infrastructure.
