Une grande partie de la discussion sur les changements climatiques suppose que les précipitations seront de plus en plus importantes et de plus en plus fréquentes. Cette attente a mené à la conception de systèmes de gestion de l’eau capables de recevoir une grande quantité d’eau, comme des ponceaux de grande taille, de hauts et longs ponts et le renforcement des cours d’eau contre l’érosion. L’élément manquant de la discussion, c’est l’idée de résilience, c’est-à-dire la facilité et la rapidité d’un système à se rétablir d’événements météorologiques extrêmes, qu’ils impliquent un trop grand ou trop petit volume d’eau. La résilience est importante, car malgré les efforts déployés pour comprendre les changements climatiques, trop d’incertitude demeure quant à ce que sera le monde dans 50 ou 100 ans. Il faudra donc faire preuve de souplesse dans notre préparation à l’avenir.
Pourquoi faut-il s’adapter?
Il y a une différence entre le concept de risque que connaissent les ingénieurs et l’incertitude entourant les changements climatiques.
La compréhension des risques sous-tend la façon dont les ingénieurs créent des solutions économiques. Ils conçoivent des solutions en sachant que, d’après les données historiques, il est possible (une fois tous les 5 ans, 25 ans, etc.) qu’un événement météorologique en surpasse la capacité théorique. Ils travaillent avec les clients et les organismes de réglementation pour s’assurer que le risque associé à l’événement est proportionnel à l’impact qu’aurait une défaillance et au coût de remplacement.
La difficulté de prendre en compte les incertitudes liées aux changements climatiques tient au fait que les paramètres utilisés (la plus importante inondation en 5 ans, en 25 ans, etc.) ont changé et continueront de changer au cours des décennies à venir. En raison des incertitudes futures, tant en ce qui concerne les effets des changements climatiques que la façon dont l’humanité y remédiera, il est impossible de déterminer les paramètres ni l’ampleur ou le type d’événements météorologiques auxquels il faudra se préparer.
Bien qu’il existe des modèles de prévision pour les changements climatiques, chacun présente différents scénarios relatifs aux émissions, comprenant des facteurs comme l’évolution de la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère d’ici 2100. Les températures et les précipitations projetées varient grandement selon les modèles et les scénarios.
Chaque modèle et scénario établit différentes valeurs pour les températures et les précipitations projetées, et il est impossible de déterminer avec certitude quelle projection correspond le plus exactement aux conditions futures. C’est là que réside l’incertitude liée au climat futur.
En réaction à cette incertitude, la prudence dicterait de concevoir chaque projet en fonction des projections maximales et d’installer d’énormes ponceaux au-dessus de petits cours d’eau, ou de grandement renforcer une pente pour protéger la chaussée de l’érosion par les eaux de crue. Toutefois, ce genre d’excès d’ingénierie s’assortirait d’un coût prohibitif s’il était appliqué à tous les cas. De plus, les mesures d’atténuation de nature générale ne pareront jamais à tout ce qui pourrait arriver.
Il nous faut une meilleure façon de relever les défis liés à la protection des personnes et de l’environnement contre les effets incertains des changements climatiques.
Qu’est-ce qui rend la résilience importante dans un monde dont le climat change?
Bien qu’il ne soit pas possible de prévoir toutes les possibilités découlant des changements climatiques, une autre approche existe pour compléter le processus de conception. Cette nouvelle approche consiste à accepter la probabilité que surviennent des événements météorologiques extrêmes et à concentrer les efforts pour trouver des moyens de faciliter le rétablissement au lendemain de l’un de ces événements. Il s’agit, pour les ingénieurs, de la résilience, c’est-à-dire la capacité d’un système à se rétablir d’un événement dommageable.
Par exemple, les équipes de réparation détachées sur une route détruite par une inondation doivent se préoccuper non seulement du revêtement de la route et de l’accès d’urgence qu’elle offre, mais aussi des conduites d’égout et d’alimentation en eau, du câblage souterrain et d’autres infrastructures qui pourraient avoir été touchées par l’inondation. Le temps que ces éléments prennent à réparer entraîne des répercussions importantes sur la société et l’environnement.
La résilience, dans ce cas-ci, consiste à accélérer le rétablissement des fonctions. Il peut s’agir de faire en sorte d’avoir les matériaux et le personnel nécessaires aux réparations à portée de main. La conception peut aussi être une source de résilience, par exemple en augmentant la profondeur d’enfouissement des services pour réduire les risques qu’ils soient endommagés, ou en faisant usage de sections modulaires et remplaçables aux points de franchissement de cours d’eau pour une réparation rapide.
De plus, dans une optique de résilience, des fonds devraient être mis de côté dans les budgets d’entretien pour les réparations d’urgence, et les ponceaux existants devraient être remplacés par des ponceaux plus grands ou des systèmes plus résilients s’il y a lieu.
La résilience s’évalue en fonction de quatre aspects :
- Sociétal : à quelle vitesse peut-on rétablir les services et rendre les maisons habitables de nouveau?
- Environnemental : l’événement a-t-il causé des dommages à l’environnement, que ce soit par l’érosion, une perte d’habitat ou un déversement? Peut-on y remédier facilement?
- Financier : y a-t-il suffisamment de fonds réservés pour rapidement permettre le nettoyage et la réparation ou la construction de nouvelles infrastructures?
- Économique : à quelle vitesse peut-on rétablir la vitalité économique, de sorte que les services soient disponibles et que la productivité soit maintenue?
La résilience à l’égard de l’approvisionnement en eau
En plus de remédier aux problèmes que présentent les inondations, les principes de résilience aident à la gestion des pénuries d’eau, que les changements climatiques pourraient multiplier. Les professionnels de WSP* aident les collectivités à mettre en place des mesures d’aménagement à faible impact qui peuvent aider à atténuer les incertitudes entourant la pénurie d’eau souterraine.
Les mesures d’aménagement à faible impact sont une solution au problème créé lorsqu’une zone est aménagée et que les précipitations qui percolaient vers les eaux souterraines s’écoulent rapidement sur les surfaces dures comme les toits et les routes. Le ruissellement peut ensuite être canalisé directement vers un cours d’eau, ce qui peut causer de l’érosion. Le détournement rapide des eaux de ruissellement réduit également la régénération des eaux souterraines, ce qui peut en retour réduire le débit d’eau vers les puits privés et publics, ainsi que les cours d’eau et les terres humides.
Les pratiques exemplaires d’aménagement à faible impact comprennent la création de nombreux projets locaux de petite taille, comme des tranchées qui intensifient le processus naturel d’infiltration de l’eau de pluie présent avant l’aménagement pour éliminer les contaminants et canaliser les précipitations vers les eaux souterraines.
Les installations des aménagements à faible impact résistent aux événements à fort débit, ce qui leur permet de continuer la régénération des eaux souterraines après des événements extrêmes. Elles peuvent également être ajoutées aux aménagements existants afin d’atténuer les incertitudes relatives à la capacité des infrastructures en aval. Surtout, l’augmentation de l’infiltration aide à faire en sorte que les puits, les terres humides et les cours d’eau ne manquent jamais d’eau, même en période sèche.
Les politiques publiques et la réglementation peuvent encourager l’implantation de mesures d’aménagement à faible impact dans les projets d’aménagement et dans les propriétés existantes. Des structures juridiques peuvent aussi permettre aux villes de traverser les périodes de sécheresse, par l’entremise de mesures telles que l’interdiction d’arroser les pelouses et la gestion de la consommation d’eau pendant et après les périodes de sécheresse, pour que les réserves d’eau d’une ville puissent se régénérer rapidement.
La résilience est un élément de plus en plus important de la préparation face aux incertitudes liées aux changements climatiques. Intégrer la résilience à la planification, c’est reconnaître que malgré les mystères que nous réserve l’avenir, il y a des mesures que nous pouvons et devrions prendre pour nous préparer à faire face aux impacts des changements climatiques.
À propos de l’auteur
Chris Davidson est ingénieur spécialiste des eaux de surface chez WSP*. Il compte plus de 17 ans d’expérience dans le domaine des ressources en eau, y compris dans la conception de systèmes de régulation des eaux pluviales, la modélisation hydrologique et hydraulique, les bilans hydriques, la gestion de l’eau et les interactions entre le climat et les eaux de surface. Il possède de l’expérience au sein de projets comprenant la conception de systèmes de collecte et de rétention des eaux pluviales, la conception de structures hydrauliques, l’évaluation environnementale, la réhabilitation de cours d’eau, la délimitation et la gestion des inondations, des études sur la protection des sources d’eau et l’analyse des répercussions potentielles des changements climatiques et des mesures d’atténuation.
* Ce travail a été effectué par des professionnels de Golder qui se sont joints à WSP dans le cadre d’une acquisition conclue en 2021.