Voici un autre domaine où les répercussions à court terme de la COVID-19 nous semblent peut-être très différentes du possible avenir à long terme. Au moment même où les lieux de travail commencent à rouvrir, avec la mise en place de mesures de distanciation physique, les bureaux situés au centre des grandes villes sont les plus problématiques, car pour y aller les employés doivent souvent emprunter des transports en commun bondés. À l’opposé, les établissements se trouvant en banlieue ou en dehors de la ville, où les travailleurs se rendent généralement en auto, seront en mesure de revenir beaucoup plus rapidement à une situation se rapprochant de leurs activités normales.
Cependant, si l’on soutient que les bureaux sont appelés à devenir des lieux où rencontrer des collègues de travail, chercher de l’inspiration et échanger des idées, plutôt qu’un endroit où juste s’asseoir à un bureau, alors il semble plus logique de situer ces espaces de travail dans des endroits bourdonnant d’activité. Ainsi, une organisation qui n’a plus besoin d’autant d’espace parce que ses employés travaillent plus souvent à distance pourrait choisir de ne pas réduire ses dépenses de location, mais d’investir plutôt ce même montant pour s’établir dans un bâtiment plus petit, mais qui a plus de caractère, dans un quartier central proposant de nombreux services et agréments – une destination plus attrayante pour les employés qu’un banal parc commercial.
Tommy Craig, directeur général principal chez Hines à New York, croit pour sa part qu’une réduction du nombre de jours passés au bureau profitera davantage aux édifices plus coûteux des quartiers centraux. « À New York, il est très difficile pour les travailleurs d’établir un bon équilibre entre vie professionnelle et familiale, parce que ça revient extraordinairement cher de vivre et d’élever une famille ici. Mais si on change de paradigme en permettant aux employés de travailler de la maison un ou deux jours par semaine, la recherche de cet équilibre devient beaucoup plus faisable. Réduire de 40 % ses déplacements pour aller travailler, c’est énorme, considérant la vaste étendue de New York et la longueur des trajets. »
Au cours des 50 dernières années, alors que l’emploi est passé principalement du secteur manufacturier à celui des services, l’activité économique des États-Unis s’est fortement concentrée au sein des villes de plus grande importance. Le professeur Bill Kerr, de la Harvard Business School, a étudié l’évolution de ces phénomènes de regroupement de talents de calibre mondial, comme celui de la Silicon Valley (en anglais seulement), qui exercent un attrait puissant et autoperpétué à l’échelle mondiale, tant pour les compétences que pour les capitaux. « Ce qui a conféré tant de pouvoir aux regroupements de talents, c’est que les idées ont la faculté de se propager d’une personne à l’autre. Bien entendu, si les virus et les germes se propagent de la même façon, cela risque de nuire à l’attrait de ces centres, explique-t-il. Cela a toujours constitué un grand défi pour ces endroits qui ont été construits pour favoriser les interactions et le travail en étroite proximité. » Bill Kerr est d’avis que ces regroupements de talents subsisteront encore un bon bout de temps s’il est possible pour les employés de retourner au travail au cours des prochains mois. « Par contre, si la pandémie se poursuit pendant quelques années, ces villes connaitront vraisemblablement des difficultés et on risque d’assister à un retrait plus systématique. Cela va dépendre de l’évolution de la situation dans l’année qui vient. »
Un autre effet possible de la pandémie de COVID-19 serait que les entreprises répartissent leurs activités en divers endroits, potentiellement au profit de centres de moins grande envergure. « De nombreuses entreprises vont réfléchir aux moyens de se prémunir contre les pandémies, si ce n’est pas en protégeant totalement leur main d’œuvre, du moins en y résistant efficacement, ajoute Kerr. L’ouverture d’un deuxième bureau n’aurait probablement pas paru logique auparavant, mais les jeunes entreprises devraient peut-être y songer à une étape plus précoce de leur développement. Nous avons vanté par le passé les mérites de la densité et du regroupement des employés, mais c’est mettre beaucoup d’œufs dans le même panier. »