Quel impact la Covid-19 aura-t-elle sur la demande en espaces de bureau?

L’épisode de la COVID-19 nous a forcés à réfléchir plus exactement à l’utilité du bureau et sur son importance dans les stratégies et les budgets de l’entreprise, en plus de faire ressortir, on ne peut plus clairement, les forces et les faiblesses des aménagements de travail à la maison.

Au cours des dernières semaines, WSP s’est demandée ce que l’avenir réserve aux édifices où tant d’entre nous avaient l’habitude de passer le plus clair de leur temps. D’un point de vue humain, nous avons déjà examiné nos sentiments à l’idée de retourner au bureau et pensé aux comportements différents que nous adopterons peut-être lorsque ce moment viendra. D’un point de vue technique, nous avons évalué s’il était possible de créer un bureau à l’épreuve des virus et d’améliorer sa résilience en période de pandémie, actuelle ou future. Ces deux aspects ont de nombreuses implications quant à l’espace requis ou désiré par les organisations dans le futur; quels seront les coûts d’aménagement et d’exploitation de ces espaces et, au bout du compte, quel prix les occupants seront-ils prêts à payer?

Le présent article traite de tous ces types de décisions en posant la question suivante : de quelle façon la demande d’espaces de bureaux est-elle appelée à changer en conséquence de la COVID‑19?

À la surprise de plusieurs, la pandémie de COVID-19 a en effet établi la preuve qu’une somme considérable du travail habituellement exécuté dans les bureaux peut se poursuivre alors qu’ils sont fermés. Certaines personnes ont découvert qu’elles sont plus productives à la maison et apprécient la liberté que leur procure un horaire plus flexible. Très peu de gens affirment ouvertement regretter l’aller-retour quotidien entre la maison et le travail.

D’un autre côté, si la COVID-19 a accéléré l’évolution de la tendance vers le télétravail, elle en a aussi révélé les limites. Dans une économie du savoir, la réussite d’une organisation continuera de reposer sur les interactions, la collaboration et les heureux hasards qui ne surviennent qu’en présence réelle des personnes. Dans un monde où chacun aurait accès à un régime flexible de travail, le bureau pourrait devenir un essentiel port d’attache. De plus, comme l’affirme Michael Holloway, directeur général de l’investissement immobilier chez Kiwi Property, l’une des plus grandes sociétés immobilières de Nouvelle-Zélande, « pour un employeur qui veut attirer, retenir et cultiver les meilleurs talents, le lieu de travail joue un rôle important dans la perception qu’ont les gens de l’entreprise. Vous allez sûrement préférer vous rendre à une entrevue d’emploi dans les bureaux d’une entreprise, plutôt qu’en vidéoconférence, pour pouvoir constater la valeur que cette entreprise accorde aux autres membres de son personnel. »

Le bureau joue sans aucun doute un rôle encore plus important, dit Jim Coleman, chef du service Économie de WSP à Londres, en offrant aux jeunes employés des occasions d’apprentissage. « Une grande part du développement professionnel de nos employés ne s’effectue pas par des activités officielles de formation, mais par tous les autres types d’interactions. Nous avons encore beaucoup à gagner à être ensemble, en équipe. » Cette réalité joue toutefois de manière différente en fonction de diverses caractéristiques démographiques et crée une tension entre le besoin de formation des plus jeunes employés et le désir accru des employés expérimentés de travailler de la maison. « Les personnes en début de carrière ont probablement plus envie d’être avec d’autres parce qu’elles sont encore en processus d’apprentissage et qu’elles recherchent l’expérience et la vie sociale que cela implique. Tandis qu’avec les années beaucoup de personnes se rangent, ou ont des enfants, et le fait de pouvoir travailler de la maison leur facilite beaucoup la vie.

Il subsistera certainement une plus forte proportion de télétravail qu’auparavant; c’est autant une question de résilience que de n’importe quoi d’autre. « Nous savons que, dès la prochaine apparition d’un coronavirus, il nous faudra passer rapidement à ce modèle de fonctionnement. Cela signifie qu’il doit demeurer en application – du moins en partie – la majorité du temps, ajoute Jim Coleman. D’après moi, aucune entreprise ne voudra revenir à l’ancienne manière de faire les choses, et cela aura des répercussions directes sur les espaces de bureaux. »

Le changement des modalités de travail ne constitue pas le seul facteur déterminant pour répondre à cette question. Le Fonds monétaire international décrit le « Grand Confinement » comme le plus important ralentissement économique depuis la Grande Dépression des années 1930, et prévoit une aussi grave récession, sinon pire, que celle de la crise financière mondiale de 2007-2008.

On assistera inévitablement à une réduction de la demande de la part des occupants, qui variera cependant d’un secteur à l’autre. L’industrie du tourisme et des loisirs, plus touchée que les autres, aura ainsi besoin de moins de locaux pour loger ses fonctions administratives, tandis que certaines entreprises de services professionnels pourraient être capables de poursuivre leurs activités normalement tout en modifiant leurs méthodes de travail. Les secteurs en plein essor, comme ceux des technologies et du commerce électronique, adhéraient déjà bien souvent à un régime de travail virtuel – le PDG de Twitter, Jack Dorsey, disait à ce propos que les employés peuvent travailler de la maison de manière permanente s’ils le désirent. « Les entreprises vont considérer cela comme une occasion de réduire leur taille, de diminuer leurs coûts d’exploitation et d’investir davantage dans la technologie, indique Paul Stapley, vice-président de l’équipe Gestion de projet de WSP Canada. Les occupants avaient déjà commencé à conclure des baux de location de plus courte durée. Alors s’il leur reste juste, disons quelque chose comme six mois, ils décideront peut-être de quitter leurs bureaux. »

Plusieurs organisations avaient déjà commencé à réduire l’espace occupé, de façon à fournir moins d’un bureau par personne, et la récession va probablement accentuer cette tendance. « En temps de crise, on met toujours l’accent sur la réduction des frais fixes, comme ceux des bureaux, précise Magnus Meyer, directeur général, Pays nordiques et Europe continentale de WSP. Le locataire type va bientôt se dire qu’il n’a peut-être pas besoin d’espace pour la totalité de ses employés, mais pour seulement 75 % ou 60 %. Ou peut-être va-t-il décider de ne pas agrandir à cause de la crise, et de plutôt s’arranger avec l’espace dont il dispose déjà. »

Par un phénomène étrange et paradoxal, la COVID-19 a aussi comme effet immédiat de pousser les organisations en direction opposée, c’est-à-dire la nécessité de disposer de plus d’espace pour chaque employé. Les entreprises cherchent depuis longtemps à faire entrer un nombre de plus en en plus grand d’employés sur les étages des bureaux, un maigre 8 m² par employé étant devenu la norme de densité d’occupation. Pour assurer la réouverture des bureaux en toute sécurité, toutefois, et maintenir les règles de distanciation physique, ces ratios devront être réaugmentés, et accompagnés de mesures essentielles comme la division du travail par quarts, le décalage des heures d’arrivée et la poursuite du télétravail.

Il est encore trop tôt pour dire si nous pourrons un jour de nouveau nous sentir à l’aise d’être en si étroite proximité avec d’autres personnes, ce qui complique énormément notre évaluation des effets à long terme de la situation actuelle sur les futurs critères d’aménagement des espaces de bureaux. Peut-être devrions-nous plutôt nous demander si les organisations voudront encore le même type d’espaces que par le passé?

Les entreprises savent maintenant très bien qu’elles pourront fonctionner à l’avenir dans des espaces de bureaux moins grands. Mais elles se sont aussi rendu compte qu’elles ont besoin de meilleurs locaux, plus résilients. « La crise actuelle va probablement précipiter la demande pour des espaces de bureaux modernes, flexibles, offrant une multitude de services, ajoute Magnus Meyer. Les édifices qui subiront les contrecoups de ce nouvel état de choses seront les plus vieux, ceux dont les occupants ne veulent tout simplement plus. Ils ne sont plus le produit recherché aujourd’hui. » 

Les propriétaires d’édifices commerciaux devront ainsi se distinguer par leurs services ajoutés. « On pourrait les qualifier d’espaces de bureaux haut de gamme, pas du point de vue du luxe, mais plutôt du contenu. Il ne s’agit plus de louer un espace “tout bête”, il faut le doter de services qui contribueront à la productivité du locataire; par exemple par des solutions améliorant la durabilité des installations, le bien-être des employés, ou simplement l’ajout de technologies numériques. » 

Pour pouvoir continuer d’exister en toute légitimité, explique David Gooderham, directeur mondial de compte de WSP à Londres, le bureau doit être investi d’une véritable raison d’être. « Tant que les employés demeureront le principal moteur de changement, c’est-à-dire le plus important facteur de rentabilité d’une organisation, celle-ci devra leur offrir un milieu de travail sûr qui leur procure un haut degré de satisfaction et qui, en fin de compte, améliore leur productivité et leur créativité. Nous avons beaucoup de choses à apprendre de cette période de confinement pour améliorer les lieux de travail et accroitre l’efficacité de nos interactions avec les employés. »

Selon Michael Holloway, la tendance de conversion des lieux de travail en « bureaux à la carte » fonctionnant sur le principe de réservation se poursuivra, tout en favorisant l’incorporation de certains des aspects liés au confort du travail à la maison auxquels nous nous sommes habitués. Cela pourrait vouloir dire un code vestimentaire plus souple, mais aussi de vraies plantes et des meubles rembourrés, pour créer une ambiance plus chaleureuse qui introduit toutefois subtilement une plus grande distance entre les personnes. « Nous devons penser à intégrer des meubles et d’autres solutions d’aménagement intérieur pour créer une certaine séparation, sans perdre toutefois les avantages du travail collaboratif. Pour que les bureaux aient un avenir, les gens doivent s’y sentir en sécurité. »  

Les entreprises offrant des espaces de cotravail ont été les pionnières de l’implantation des bureaux à la carte et constituent peut-être les bureaux idéaux en ce sens. Toutefois, le vent de la COVID-19 a soufflé sur ces communautés vibrantes à très haute densité d’occupation, les laissant désertes. Dans un article distinct, nous nous demandons si cela signifie la fin de ce type d’espaces de cotravail. 

Voici un autre domaine où les répercussions à court terme de la COVID-19 nous semblent peut-être très différentes du possible avenir à long terme. Au moment même où les lieux de travail commencent à rouvrir, avec la mise en place de mesures de distanciation physique, les bureaux situés au centre des grandes villes sont les plus problématiques, car pour y aller les employés doivent souvent emprunter des transports en commun bondés. À l’opposé, les établissements se trouvant en banlieue ou en dehors de la ville, où les travailleurs se rendent généralement en auto, seront en mesure de revenir beaucoup plus rapidement à une situation se rapprochant de leurs activités normales.

Cependant, si l’on soutient que les bureaux sont appelés à devenir des lieux où rencontrer des collègues de travail, chercher de l’inspiration et échanger des idées, plutôt qu’un endroit où juste s’asseoir à un bureau, alors il semble plus logique de situer ces espaces de travail dans des endroits bourdonnant d’activité. Ainsi, une organisation qui n’a plus besoin d’autant d’espace parce que ses employés travaillent plus souvent à distance pourrait choisir de ne pas réduire ses dépenses de location, mais d’investir plutôt ce même montant pour s’établir dans un bâtiment plus petit, mais qui a plus de caractère, dans un quartier central proposant de nombreux services et agréments – une destination plus attrayante pour les employés qu’un banal parc commercial.

Tommy Craig, directeur général principal chez Hines à New York, croit pour sa part qu’une réduction du nombre de jours passés au bureau profitera davantage aux édifices plus coûteux des quartiers centraux. « À New York, il est très difficile pour les travailleurs d’établir un bon équilibre entre vie professionnelle et familiale, parce que ça revient extraordinairement cher de vivre et d’élever une famille ici. Mais si on change de paradigme en permettant aux employés de travailler de la maison un ou deux jours par semaine, la recherche de cet équilibre devient beaucoup plus faisable. Réduire de 40 % ses déplacements pour aller travailler, c’est énorme, considérant la vaste étendue de New York et la longueur des trajets. »

Au cours des 50 dernières années, alors que l’emploi est passé principalement du secteur manufacturier à celui des services, l’activité économique des États-Unis s’est fortement concentrée au sein des villes de plus grande importance. Le professeur Bill Kerr, de la Harvard Business School, a étudié l’évolution de ces phénomènes de regroupement de talents de calibre mondial, comme celui de la Silicon Valley (en anglais seulement), qui exercent un attrait puissant et autoperpétué à l’échelle mondiale, tant pour les compétences que pour les capitaux. « Ce qui a conféré tant de pouvoir aux regroupements de talents, c’est que les idées ont la faculté de se propager d’une personne à l’autre. Bien entendu, si les virus et les germes se propagent de la même façon, cela risque de nuire à l’attrait de ces centres, explique-t-il. Cela a toujours constitué un grand défi pour ces endroits qui ont été construits pour favoriser les interactions et le travail en étroite proximité. » Bill Kerr est d’avis que ces regroupements de talents subsisteront encore un bon bout de temps s’il est possible pour les employés de retourner au travail au cours des prochains mois. « Par contre, si la pandémie se poursuit pendant quelques années, ces villes connaitront vraisemblablement des difficultés et on risque d’assister à un retrait plus systématique. Cela va dépendre de l’évolution de la situation dans l’année qui vient. »

Un autre effet possible de la pandémie de COVID-19 serait que les entreprises répartissent leurs activités en divers endroits, potentiellement au profit de centres de moins grande envergure. « De nombreuses entreprises vont réfléchir aux moyens de se prémunir contre les pandémies, si ce n’est pas en protégeant totalement leur main d’œuvre, du moins en y résistant efficacement, ajoute Kerr. L’ouverture d’un deuxième bureau n’aurait probablement pas paru logique auparavant, mais les jeunes entreprises devraient peut-être y songer à une étape plus précoce de leur développement. Nous avons vanté par le passé les mérites de la densité et du regroupement des employés, mais c’est mettre beaucoup d’œufs dans le même panier. »

Cette question sera résolue différemment selon les marchés, en fonction des variations locales de la loi de l’offre et de la demande. Certains endroits souffraient déjà d’un manque structurel d’espaces de bureaux modernes de qualité supérieure et la COVID-19 risque d’aggraver la situation, même si la demande globale demeure la même. Il est possible aussi que les changements tardent à s’opérer. Comme le souligne CBRE, l’immobilier commercial est un secteur qui réagit à retardement. En effet, deux années se sont écoulées avant que les taux d’inoccupation des bureaux atteignent un pic à la suite de la crise financière mondiale de 2008-2009.

 Il faut aussi regarder de l’autre côté de l’équation, du point de vue de l’approvisionnement en capitaux pour des projets d’immeubles de bureaux. Gary McCarthy, directeur chez WSP, conseille les institutions financières. À son avis, l’immobilier conservera son attrait. « Il existe de vastes réserves de capitaux pour des actifs pertinents et l’immobilier va continuer de représenter une stratégie défensive pour les portefeuilles des gestionnaires de placements à long terme, tout comme d’offrir des rendements suffisamment supérieurs à ceux des obligations d’État. Il y aura certainement des problématiques particulières – par exemple, les immeubles de bureaux en région auront plus de difficulté que les édifices haut de gamme des centres-villes – mais je n’entrevois pas de chute dans les engagements de capitaux. »

La grande question pour les investisseurs du secteur commercial, ajoute Gary McCarthy, consiste à déterminer de quelle façon leur actif réussira à se distinguer du reste. Comment s’assurer qu’un immeuble de bureaux soit le plus attrayant de tous aux yeux des locataires et de leurs employés? Qu’est-ce qui fera d’un bureau une destination de premier choix dans le monde de l’après-COVID? Le prochain article de la série tentera de répondre à ces questions.