Sur le plan des émissions de carbone, est-ce toujours mieux de rénover un bâtiment que de le reconstruire?
En tant qu’ingénieur en structures qui tente de concevoir un bâtiment à carbone zéro, on se rend compte très vite que peu importe ce qu’on fait, que ce soit de cibler des matériaux de construction à faible teneur en carbone ou d’optimiser la structure, il est difficile, voire impossible, d’atteindre zéro émission sans une forme de compensation. C’est le cas, du moins, selon le taux actuel de décarbonation du réseau et la disponibilité de l’énergie renouvelable.
Le mieux serait de ne rien bâtir. La rénovation de structures existantes est donc un juste milieu. Elle nous permet d’éviter une quantité considérable d’émissions de carbone par rapport à la construction de nouvelles structures. Et, d’après moi, c’est ce qu’il y a de mieux pour l’industrie de la construction, particulièrement pour le secteur commercial.
Y’a-t-il des cas où la construction d’un nouveau bâtiment émettrait moins de carbone que des rénovations?
On s’interroge normalement sur l’efficacité du bâtiment existant, mais cela est presque toujours lié au carbone d’exploitation; s’il y a un système de ventilation inefficace, on peut le changer. Dans de rares cas, une structure peut être en fin de vie, par exemple dans une zone côtière où la corrosion est active ou lorsque la grille existante ou la hauteur d’étage compromet de manière importante sa viabilité future. Dans ce cas, il pourrait donc être logique de bâtir une nouvelle structure plutôt que d’utiliser de nombreuses ressources pour renforcer ou adapter celle qui est là, ce qui pourrait aussi causer une intensité carbonique élevée.
Donc, devrait-il exister de nouveaux matériaux de structure? Le carbone d’exploitation à lui seul ne peut-il pas faire pencher la balance?
Exactement. Si un bâtiment est vraiment inefficace sur le plan de l’exploitation, si par exemple, en raison de son orientation, il ne reçoit pas de lumière du soleil. Il consomme alors beaucoup d’énergie, et c’est le carbone d’exploitation qui réchauffe le bâtiment. À court terme, on peut se demander si ça vaut la peine de construire un nouveau bâtiment. Mais à mesure que le réseau électrique se décarbone, ce carbone d’exploitation diminuera et continuera de diminuer, de sorte que d’ici 20 à 30 ans, il sera très faible. Ainsi, la justification de construire un nouveau bâtiment en fonction des économies de carbone d’exploitation ne sera pas la même dans 10 à 20 ans.
Qu’en est-il du carbone intrinsèque lié aux rénovations?
Lorsqu’on rénove une structure, il y a toujours une interaction entre le carbone intrinsèque des matériaux qu’on ajoute à la structure ou remplace et le carbone d’exploitation du bâtiment. Prenons, par exemple, l’ajout d’étages à un bâtiment existant. En tant qu’ingénieur en structures, on choisira probablement le système le plus léger pour réduire le plus possible le carbone intrinsèque. Mais si le bâtiment n’est pas bien isolé et qu’il n’a pas de bonnes propriétés thermiques, l’énergie opérationnelle requise pour le chauffer et le refroidir pourrait augmenter et par le fait même augmenter le carbone d’exploitation. On doit donc opter pour un élément plus épais et étudier des options de béton qui émettent beaucoup de carbone ou ajouter plus d’isolation.
Mais sur une durée de vie de 20 à 30 ans, on réalisera des économies de carbone d’exploitation. Ce n’est pas un problème simple et linéaire; c’est plutôt un problème d’optimisation. C’est pour cela que des rénovations bien réalisées impliquent une collaboration multidisciplinaire entre l’architecte, l’ingénieur en structure et l’équipe chargée des services de bâtiments pour évaluer les émissions de carbone d’une panoplie d’options sur toute une durée de vie.
Quelle différence l’utilisation de matériaux à faible teneur en carbone pourrait-elle apporter à l’équation?
De nos jours, les matériaux à faible teneur en carbone font l’objet de nombreuses conversations dans l’industrie. Cela favorise indirectement l’idée que la conception peut se dérouler comme d’habitude et qu’un ingénieur en structure interviendra à la fin du processus décisionnel et présentera un matériau à faible teneur en carbone qui sauvera la situation. C’est ce qu’on appelle la décarbonation passive. Même si nous parvenons par magie à mettre au point un béton sans carbone intrinsèque, nous continuerons à consommer les ressources limitées de la planète. L’extraction des minerais, le transport et la fabrication ont des effets négatifs sur la biodiversité et la qualité de l’air. Il y a toujours des émissions. Donc je ne crois pas que l’utilisation de matériaux à faible teneur en carbone est une bonne raison pour en faire un usage excessif.
Que devons-nous faire à la place? À quoi ressemblerait une décarbonation active?
On devrait se tourner vers des stratégies visant de faibles émissions de carbone plutôt que de penser uniquement aux matériaux. Et il faut le faire dès le départ. Par exemple, si un promoteur veut construire une tour de 20 étages, on doit se demander si elle est réellement nécessaire. Serait-il plutôt possible de rénover la structure existante du site, garder les sous-sols et le socle et ajouter des étages au-dessus?
S’il y a lieu de construire une structure, la règle de base est que plus les colonnes sont rapprochées, plus les dalles sont minces, et donc plus le carbone incorporé global est faible, car les dalles sont les éléments structurels à plus forte teneur en carbone. Une étude réalisée par WSP a conclu que pour un stationnement typique, l’augmentation de la portée de 8 à 10 mètres augmente le carbone intrinsèque de 25 à 30 %. Normalement, les architectes et les promoteurs veulent avoir de plus grandes portées, mais on devrait plutôt penser à intégrer plus de colonnes. On perdrait alors de l’espace de stationnement, ce qui pourrait se traduire en perte de revenus pour le promoteur. Toutes ces discussions doivent avoir lieu dès le début d’un projet et s’appuyer sur des études approfondies des différentes options axées sur le carbone.
D’un point de vue quantitatif, si on utilise le meilleur béton à faible teneur en carbone actuellement disponible sur le marché, on peut économiser en moyenne jusqu’à 20 à 25 % du carbone intrinsèque. Mais si on joue avec l’espace entre les colonnes dès le début, on peut économiser un autre 20 à 30 %. La décarbonation active signifie donc de ne pas se fier uniquement au remplacement de matériaux. Il faut penser à réutiliser, à modifier la conception et à penser que le fait de ne rien construire du tout peut aussi être une solution.
- Mahdi Babaee est directeur technique et responsable national des projets à consommation énergétique nette zéro (Structures) chez WSP en Australie