Afin de tenir leurs promesses, les autorités doivent soutenir non seulement les communautés et les entreprises locales, mais aussi l’ensemble du secteur financier. La demande mondiale en matière de nouvelles infrastructures est estimée à plus de 90 billiards de dollars* entre 2015 et 2030, soit presque le double de la valeur estimée de ce que nous possédons déjà. La vitesse à laquelle les actifs vieillissants, qui produisent beaucoup de dioxyde de carbone, sont remplacés par des solutions plus écologiques dépend des institutions financières qui investissent dans des projets à faible émission de carbone et qui poussent leurs clients à faire de même.
Cette demande accrue en matière d’investissements coïncide avec le fait que les investisseurs reconnaissent de plus en plus l’importance de posséder de l’information environnementale, sociale et de gouvernance de qualité pour gérer les risques liés aux investissements et le rendement du capital investi. Certaines banques centrales, comme la Banque d’Angleterre et la Banque centrale européenne, gèrent déjà les risques liés aux changements climatiques de manière structurée. Dans d’autres pays, les risques financiers et physiques associés à la crise climatique n’ont pas été pris assez au sérieux et cela n’a pas échappé aux investisseurs.
Aux États-Unis, plus de trois douzaines de régimes de retraite, de gestionnaires de fonds et d’autres institutions, qui comptent pour près de 1 millier de milliards de dollars en actifs, ont exigé que la Réserve fédérale, la Commission des valeurs mobilières des États-Unis et d’autres agences financières agissent davantage pour que la divulgation des risques climatiques devienne obligatoire, selon des normes. Sans cela, les investisseurs s’inquiètent et les effets des changements climatiques ont des répercussions sur l’économie, ce qui entraine une soudaine chute du prix des actions. Si les entreprises avaient l’obligation de divulguer davantage leurs données environnementales, sociales et de gouvernance, que ce soit concernant leurs émissions de dioxyde de carbone ou la vulnérabilité de leurs actifs en raison de la hausse du niveau des océans, par exemple, les investisseurs pourraient prendre de meilleures décisions et les inciter à réduire leurs émissions afin d’éviter de perdre l’accès à des financements ou à des primes d’assurance abordables.
Beaucoup d’investisseurs, de propriétaires d’actifs et d’entreprises divulguent déjà des renseignements de manière volontaire sur les risques climatiques, sous l’influence des cadres de travail comme le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC)*. « Les institutions financières comprennent qu’il est nécessaire d’évaluer les risques climatiques, car elles y sont exposées dans le cadre du GIFCC, explique Michael Mondshine, directeur du développement durable, de l’énergie et des changements climatiques chez WSP Washington (D. C.). Elles ont aussi fait pas mal de progrès en ce sens. » Il souligne que l’entreprise BlackRock qui est spécialisée dans la gestion d’investissements mondiaux et qui gère les plus grands actifs au monde, a créé un précédent en 2019 en envoyant une lettre à ses actionnaires pour les informer que le développement durable deviendrait sa « nouvelle norme d’investissement » et que l’analyse des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance serait au cœur de son plan d’affaires.
BlackRock ne s’est pas engagée à décarboniser ses propres activités, mais elle incite bon nombre d’autres entreprises à le faire. Et, au final, cela a encore plus d’incidences, dit Jonathan Burnston, partenaire en gestion à Karbone, une entreprise de services financiers œuvrant dans le marché de l’énergie. « Si BlackRock explique qu’elle n’investira que dans des entreprises et des fonds d’investissement qui misent sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, alors ces entreprises et ces fonds s’adapteront pour répondre à ces critères. Ce qu’on espère, dit Jonathan Burnston, c’est que ce type d’incitatif non réglementé imposé par le secteur financier se répercute sur l’économie. »
Ce type de stratégie est prometteur. Bon nombre de fonds d’investissement qui misent sur des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance offrent un meilleur rendement dans l’ensemble du marché cette année. Mais cela ne veut pas dire que l’intégration de ces facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance aux investissements est facile à faire adopter. « Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à vouloir obtenir leur part du gâteau, précise Jonathan Burnston. Ils veulent investir dans les énergies propres, par exemple, tout en atteignant un certain seuil de rendement du capital investi, ce qui n’est pas toujours compatible. »
On se rend de plus en plus compte que les investissements qui misent sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance entrainent des coûts supplémentaires, et quelqu’un doit payer pour ça. « Il ne faut pas nécessairement s’attendre à obtenir le même rendement du capital investi avec une stratégie qui met en avant des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance qu’avec une autre approche, dit Jonathan Burnston. Le marché dans lequel évolue votre entreprise pourrait croitre si la réglementation rendait ces critères obligatoires à un moment donné, mais pour le moment, dans les faits, cela affecte la rentabilité. »
Cette approche à court terme constitue clairement un obstacle à l’atteinte de l’objectif « zéro émission nette », mais elle ne fait pas nécessairement partie intégrante du monde de la finance, du moins pas d’après les adeptes du concept de la « finance climatique ». Ce concept improbable allie la force des entreprises à celle des actions collectives pour créer des portefeuilles financiers qui respectent l’Accord de Paris. Comme les grands investisseurs et les acteurs des secteurs qui émettent beaucoup de dioxyde de carbone sont nombreux à avoir signé cet accord, le but est de créer un système robuste pour investir dans l’énergie propre. Par exemple, le nouveau centre de la finance climatique, Center for Climate-Aligned Finance*, qui est dirigé par l’organisme à but non lucratif Rocky Mountain Institute spécialisé dans la recherche en développement durable, fait le lien entre certaines des plus grandes institutions financières du monde, des entreprises clientes, des acteurs de l’industrie et des décideurs pour établir de nouvelles règles de mobilisation par secteur.