Le biologiste évolutionniste néerlandais, Menno Schilthuizen, professeur à l’Université de Leiden et auteur du livre Darwin Comes to Town en 2018, affirme que les meilleures interventions sont celles qui comptent sur des espèces qui réussissent déjà à s’adapter aux environnements urbains. « Nous devons imaginer des systèmes qui vont s’installer et coloniser le milieu naturellement, plutôt que de “créer” des écosystèmes complets et de les planter tout d’un coup », affirme-t-il. On doit donc parfois laisser tomber des concepts très à la mode tels que les « murs verts » qui nécessitent souvent d’être irrigués, au profit de matériaux comme le « béton vivant » développé par la Bartlett School of Architecture de l’Université de Londres. Celui-ci est conçu pour être bio-réceptif et fonctionne comme une « écorce d’arbre architecturale » qui peut être facilement colonisée par les spores d’algues, de mousses et de lichen en suspension dans l’air. « Les bâtiments peuvent être construits à partir de nouveaux matériaux, déclare Menno Schilthuizen, qui permettent aux insectes et aux petites plantes de s’installer sans compromettre la structure et la fonction du bâtiment. »
Toutefois, cette nouvelle forme ne correspond pas à l’idée que chacun se fait de la nature dans nos villes. Dans de nombreuses régions du monde, l’utilisation d’espèces non indigènes, souvent dans les jardins formels d’influence occidentale avec des pelouses, a des connotations de pouvoir et de statut. Rasmus Astrup, de SLA, en a fait l’expérience avec une commission au Moyen-Orient. Les membres désiraient planter des espèces non indigènes qui auraient nécessité un volume d’eau considérable pour les irriguer afin qu’elles ne meurent pas. « Si vous ne travaillez pas avec des espèces indigènes, vous ne pouvez pas réduire la chaleur de manière durable et vous avez besoin d’une énorme quantité d’eau. Si vous utilisez les espèces locales, le coût de maintenance est bien plus bas et vous célébrez votre propre culture », explique-t-il.
Une nouvelle direction?
Pour Bill Reed, de Regenesis, trop d’infrastructures vertes ont simplement pour objectif de réduire le degré des dommages causés, plutôt que de participer activement à l’amélioration du monde. Étant donné l’ampleur du défi environnemental sur la planète, de nombreux efforts, aussi positifs et bien intentionnés soient-ils, « ne suffiront pas » à éviter une catastrophe. Et on court, bien sûr, le risque que l’écologisation des villes dépende davantage de la perception du public que des avantages qu’elle peut apporter. « Nous devons passer par-dessus notre vision de la nature comme élément décoratif, pour comprendre que les systèmes vivants ont un rôle essentiel à jouer dans notre santé », dit-il.
En effet, dans l’esprit de Bill Reed, le mouvement en faveur de la biophilie et l’accent mis sur les services écosystémiques peuvent même constituer des obstacles, puisqu’ils insistent sur les avantages qu’ils procurent aux humains, plutôt que sur les relations entre systèmes naturels et humains. « La biophilie peut être considérée comme anthropocentrique. Il s’agit souvent de ce que la nature peut faire pour nous, ce qui ne représente qu’une moitié de l’histoire. Nous devons aussi aider la nature. Ce n’est pas une question d’impact, mais de réciprocité. »
Tim Beatley, du réseau Biophilic Cities, rejette cette interprétation en affirmant que le mouvement concerne tout autant les effets de l’homme sur la nature que les effets de la nature sur l’homme. Que ce soit le cas ou non, il ne fait aucun doute qu’il est difficile de vendre la biodiversité pour la biodiversité, même si les données scientifiques sont terrifiantes. « Pour ce qui est des changements climatiques, l’objectif est évident », déclare Jenny Merriman de WSP. « Mais c’est très difficile pour la biodiversité, parce que ce n’est pas si tangible. »
Alors, quelles sont les perspectives de développement d’une écologie urbaine plus intense? Selon Bill Reed, il est possible de galvaniser l’action vers un engagement et des interactions vraiment radicaux, mais uniquement si les clients et les communautés s’accordent pour régénérer conjointement des espaces en s’appuyant sur une compréhension profonde de l’écologie locale. Les villes, dit-il, peuvent « retrouver le civisme et une qualité de vie élevée si l’on prête attention aux modèles humains et naturels uniques de chaque lieu particulier. »
Si l’approche peut sembler un peu spirituelle pour certains, Bill Reed n’est pas le seul à ressentir la limite des mécanismes de marché traditionnels pour aborder la biodiversité d’une manière véritablement efficace. Tom Butterworth, de WSP, fait valoir qu’avec la réglementation, le gouvernement a le pouvoir de changer les données financières en matière d’aménagement. « Dès que faire quelque chose devient une exigence », dit-il, « ce n’est plus au promoteur de supporter les coûts. Au contraire, ils s’ajoutent simplement au prix du terrain. » La question est d’actualité au Royaume-Uni, étant donné que le gouvernement envisage d’imposer un gain net de biodiversité sur les aménagements lors de la planification d’un projet.
Un élément encore plus décisif serait que le système financier tienne véritablement compte de tout ce que la nature offre, et c’est exactement ce que le concept de capital naturel vise à corriger. « Nous devons changer la mentalité selon laquelle l’environnement est un coût », affirme Jenny Merriman. « Notre système économique actuel donne l’impression qu’il est logique de faire certaines choses, simplement parce que l’environnement n’est pas pris en compte. Nous devons changer le système pour reconnaître que tout aménagement nécessite un environnement sain. »
La question demeure : pourrons-nous le faire à temps?
Cet article fut originalement publié en anglais en août 2019 dans le magazine de WSP The Possible